GUY DE MAUPASSANT


CONTES DE LA BÉCASSE




SEIZIÈME ÉDITION



PARIS

1894


TABLE

La Bécasse
Ce cochon de Morin
La Folle
Pierrot
Menuet
La Peur
Farce normande
Les Sabots
La Rempailleuse
En mer
Un Normand
Le Testament
Aux Champs
Un Coq chanta
Un Fils
Saint-Antoine
L'Aventure de Walter Schnaffs


LA BÉCASSE


Le vieux baron des Ravots avait été pendant quarante ans le roi deschasseurs de sa province. Mais, depuis cinq à six années, une paralysiedes jambes le clouait à son fauteuil, et il ne pouvait plus que tirerdes pigeons de la fenêtre de son salon ou du haut de son grand perron.

Le reste du temps il lisait.

C'était un homme de commerce aimable chez qui était resté beaucoup del'esprit lettré du dernier siècle. Il adorait les contes, les petitscontes polissons, et aussi les histoires vraies arrivées dans sonentourage. Dès qu'un ami entrait chez lui, il demandait :

 — Eh bien, quoi de nouveau ?

Et il savait interroger à la façon d'un juge d'instruction.

Par les jours de soleil il faisait rouler devant la porte son largefauteuil pareil à un lit. Un domestique, derrière son dos, tenait lesfusils, les chargeait et les passait à son maître ; un autre valet, cachédans un massif, lâchait un pigeon de temps en temps, à des intervallesirréguliers, pour que le baron ne fût pas prévenu et demeurât en éveil.

Et, du matin au soir, il tirait les oiseaux rapides, se désolant quandil s'était laissé surprendre, et riant aux larmes quand la bête tombaitd'aplomb ou faisait quelque culbute inattendue et drôle. Il se tournaitalors vers le garçon qui chargeait les armes, et il demandait, ensuffoquant de gaieté :

 — Y est-il, celui-là, Joseph ! As-tu vu comme il est descendu ?

Et Joseph répondait invariablement :

 — Oh ! monsieur le baron ne les manque pas.

A l'automne, au moment des chasses, il invitait, comme à l'ancien temps,ses amis, et il aimait entendre au loin les détonations. Il lescomptait, heureux quand elles se précipitaient. Et, le soir, il exigeaitde chacun le récit fidèle de sa journée.

Et on restait trois heures à table en racontant des coups de fusil.

C'étaient d'étranges et invraisemblables aventures, où se complaisaitl'humeur hâbleuse des chasseurs. Quelques-unes avaient fait date etrevenaient régulièrement. L'histoire d'un lapin que le petit vicomte deBourril avait manqué dans son vestibule les faisait se tordre chaqueannée de la même façon. Toutes les cinq minutes un nouvel orateurprononçait :

 — J'entends : « Birr ! birr ! » et une compagnie magnifique me part à dixpas. J'ajuste : pif ! paf ! j'en vois

...

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