L'illustration, 3664, 17 Mai 1913.
Ce numéro contient:
1° LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre n° 7: Servir et La Chienne duroi, de M. Henri Lavedan;
2° Un Supplément économique et financier de deux pages.
LES SACRIFICES INUTILES DU MONTENEGRO
Avant l'abandon de Scutari: une mère monténégrine et son fils sur latombe du père,
tombé à l'assaut des hauteurs de Bardaniol.Phot. S. Tchernof.--Voir l'article, page 472.
Quand les mois du printemps entamé sont en plein jeu et qu'à lacantonade l'été, sans y mettre beaucoup de zèle, équipe cependant seslumineux décors, les théâtres, tout en continuant, comme dans l'hiver,d'attirer et de réchauffer les hommes, les possèdent cependant avecmoins de force. A cette arrière-saison dramatique le spectateur estdistrait, assis sans volonté. Il écoute et regarde en laissant échapperpar instants des signes de fatigue et d'impatience. La pièce, pour lui,n'est plus là, dans cette solitude, close et ténébreuse à midi, elle estau grand air, en pleine nature. Ici elle devient l'entr'acte qui paraîtlong, et c'est la vie, la course, le voyage, qui semblent désormais laseule action passionnante dont l'intrigue et le dénouement valent lapeine d'être connus. Aussi le rideau, qui se rend compte de cettedéfaveur, change tout à coup. Il n'est plus le même. Il a je ne saisquoi de flasque et d'abattu.
Dès qu'arrive cette fin de l'année où il entre en subite mélancolie, jene puis m'empêcher de rêver en le contemplant. D'ailleurs il m'atoujours ému et fait penser, car il est à lui seul la moitié du théâtre.Il le personnifie. Il en est le premier et le dernier tableau. C'est parlui que débutent toutes les pièces, drames, ballets, comédies,tragédies, et qu'elles finissent toutes. Il est le prologue etl'épilogue de la grande farce humaine. Concevons-nous une minute qu'ilpuisse ne pas être? L'imagination s'y refuse. Tout nous dit en effetqu'avant d'apprendre la belle histoire qui nous est promise nous devonsn'en rien connaître, et qu'il faut qu'elle nous soit exposée touteneuve, avec ordre sans doute,--mais dans une sorte de brusquerie dedébut, de façon à nous heurter et à nous accaparer instantanément. Unmur entre la pièce et le spectateur est donc d'abord nécessaire, le murderrière lequel se passera tant de fois quelque chose! un mur épais maisfragile, lourd mais léger, impénétrable et mince qui puisse aucommandement non pas se fendre et s'écrouler, mais disparaître,s'évanouir, fondre et monter dans un silence obtenu par les battementsprécipités, puis par les trois coups de nos coeurs.
Mon premier rideau fut celui d'un magnifique théâtre de vingt-quatrefrancs quatre-vingt-quinze, que l'on m'avait, bien avant que j'eusseatteint l'âge de déraison, donné pour mes étrennes. Je revoisl'architecture imposante du Parthénon naïf, peint en crème et sur lefronton duquel un cartouche de bleu de chapelle affichait en capitalesd'or le mot Opéra. Dans un décor de palais à colonnades étaitsuspendue à l'intérieur, par des fils raides et emmêlés, la troupe desdouze personnages, bottelés les