L'ouvrage en deux volumes in-8°, Shakespeare et l'Antiquité, quel'Académie française a couronné en 1880, était suivi d'un opusculeintitulé Molière, Shakespeare et la Critique allemande.
C'est cet opuscule que nous réimprimons aujourd'hui, après y avoirfait certaines additions et des changements sensibles qui s'étendentjusqu'au titre lui-même.
Les rares lecteurs qui se souviennent encore d'un volume publié en1866, Petite comédie de la Critique littéraire ou Molière selon troisécoles philosophiques, reconnaîtront dans la publication présentequelques débris sauvés du naufrage de ce premier essai.
Un apologiste allemand de Molière.—Des comédies de Shakespeare engénéral.—Universalité de Molière.—Les disputes de goût.—Shakespeareet Aristophane.—Shakespeare et Plante.—Shakespeare et Molière.
Molière, Shakespeare und die deutsche Kritik[1]: tel est le titred'un volume in-octavo de cinq cents et quelques pages publié en 1869à Leipzig par le docteur G. Humbert.—M. Rümelin, chef de la réactionanti-shakespearienne en Allemagne, avait opposé et préféré Schiller etGœthe à Shakespeare; M. Humbert lui oppose[Pg 2] et lui préfère Molière,pour lequel il professe un culte enthousiaste.
Comment n'aimerions-nous pas un si brave homme? Qui, en France, auraitle cœur assez dur pour lui dire que son livre est long, diffus,mal composé? Et, si l'on se croyait permis de critiquer la forme,oserait-on sans rougir faire des réserves sur le fond, avertir l'auteurqu'en prouvant trop il risque de prouver moins, qu'en attribuant àMolière toutes les perfections il tombe dans l'excès même reprochépar lui aux shakespearomanes, et qu'il eût agi plus habilement dansl'intérêt de la cause s'il avait dédaigneusement laissé à l'adversairequelques os à ronger?
Tout! M. Humbert admire tout,—jusqu'au discours de l'exempt à la findu Tartuffe, jusqu'à la dissertation du frère d'Argan sur la vanitéde la médecine, jusqu'aux sermons du sage Cléante en faveur de lamodération! Il y a quelque chose de touchant dans son dévouement absoluà Molière. «Notre amour pour Molière, écrit-il dans sa préface, s'estrenouvelé à chaque lecture que nous avons faite de ses œuvres; et cetamour (nous osons ajouter: notre amour pour la littérature françaiseen général) pourrait malaisément nous être reproché, puisque nous lepartageons avec Gœthe et plusieurs autres grands esprits de notrenation. Mais ce sentiment[Pg 3] nous autorisait-il à parler avec irritationdes contempteurs de Molière et de la littérature française? Non, sansdoute, si ces derniers par leur conduite ne nous avaient provoqué àprendre un ton pareil; or c'est ce qu'ils ont fait, à tel point quenous aurions pu donner pour épigraphe à notre livre le mot fameux deJuvénal: