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Mystérieuse amie, soyez la patronne de ce pauvre petit conte.
Patricienne, excusez les antipathies du conteur rustique.
Madame, ne dites à personne que vous êtes sa sœur.
Cœur trois fois noble, descendez jusqu'à lui et rendez-le fier.
Comtesse, soyez pardonnée.
Étoile cachée, reconnaissez-vous à ces litanies.
A quelque distance du chef-lieu de préfecture, dans un beau vallon de laMarche, on remarque, au-dessus d'un village nommé Fougères, un vieuxchâteau plus recommandable par l'ancienneté et la solidité de saconstruction que par sa forme ou son étendue. Il parait avoir étéfortifié. Sa position sur la pointe d'une colline assez escarpée àl'ouest, et les ruines d'un petit fort posé vis-à-vis sur une autrecolline, semblent l'attester. En 1820, on voyait encore plusieursbastions et de larges pans de murailles former une dentelure imposanteautour du château; mais ces débris encombrant les cours de la ferme, lespropriétaires en vendaient chaque année les matériaux, et même lesdonnaient à ceux des habitants qui voulaient bien prendre la peine deles emporter. Ces propriétaires étaient de riches fermiers quihabitaient une maison blanche à un étage et couverte en tuiles, à deuxportées de fusil du château. Quelques portions de bâtiment, qui avaientété les communs et les écuries du châtelain, servaient désormaisd'étables pour les troupeaux et de logement pour les garçons de ferme.Quant aux vastes salles du manoir féodal, elles étaient vides,délabrées, et seulement bien munies de portes et de fenêtres, car ellesservaient de greniers à blé. Ce n'est pas que le pays produise beaucoupde grains; mais les cultivateurs qui avaient acheté les terres deFougères comme biens nationaux, avaient amassé une assez belle fortuneen s'approvisionnant, dans le Berry, de céréales qu'ils entassaient dansleur château, et revendaient dans leur province à un plus haut prix.C'est une spéculation dont le peuple se trouverait bien, si lespéculateur consentait à subir avec lui le déficit des mauvaises années.Mais alors, au contraire, sous prétexte du grand dommage que les rats etles charançons ont fait dans les greniers, il porte ses denrées à untaux exorbitant, et s'engraisse des derniers deniers que le pauvre selaisse arracher au temps de la disette.
Les frères Mathieu, propriétaires de Fougères, avaient, à tort ou àraison, encouru ce reproche de rapacité; il est certain qu'on entenditavec joie, dans le hameau, circuler la nouvelle suivante:
Le comte de Fougères, émigré, que le retour des Bourbons n'avait pasencore ramené en France, écrivait d'Italie à M. Parquet, ancienprocureur, maintenant avoué au chef-lieu du département, pour luiannoncer qu'ayant relevé sa fortune par des spéculations commerciales,il désirait revenir dans sa patrie et reprendre possession du domaine deses pères. Il chargeait donc M. Parquet d'entrer en négociation avec lesacquéreurs du château et de ses dépendances, non sans lui recommander debien cacher de quelle part venaient ces propositions.
Pourtant le comte de Fougères, las de la pro