Maria Chapdelaine

Louis Hémon

I

«Ite missa est

La porte de l'église de Péribonka s'ouvrit et leshommes commencèrent à sortir.

Un instant plus tôt elle avait paru désolée, cette église, juchéeau bord du chemin sur la berge haute, au-dessus de la rivièrePéribonka, dont la nappe glacée et couverte de neige était toutepareille à une plaine. La neige gisait épaisse sur le chemin aussi,et sur les champs, car le soleil d'avril n'envoyait entre les nuagesgris que quelques rayons sans chaleur et les grandes pluies deprintemps n'étaient pas encore venues. Toute cette blancheur froide,la petitesse de l'église de bois et des quelques maisons, de boiségalement, espacées le long du chemin, la lisière sombre de la forêt,si proche qu'elle semblait une menace, tout parlait d'une vie duredans un pays austère. Mais voici que les hommes et les jeunes gensfranchirent la porte de l'église, s'assemblèrent en groupes sur lelarge perron, et les salutations joviales, les appels moqueurs lancésd'un groupe à l'autre, l'entrecroisement constant des propos sérieuxou gais témoignèrent de suite que ces hommes appartenaient à une racepétrie d'invincible allégresse et que rien ne peut empêcher de rire.

Cléophas Pesant, fils de Thadée Pesant le forgeron,s'enorgueillissait déjà d'un habillement d'été de couleur claire, unhabillement américain aux larges épaules matelassées; seulement ilavait gardé pour ce dimanche encore froid sa coiffure d'hiver, unecasquette de drap noir aux oreillettes doublées en peau de lièvre, aulieu du chapeau de feutre dur qu'il eût aimé porter.

À côté de lui Égide Simard, et d'autres qui, comme lui, étaient venusde loin en traîneau, agrafaient en sortant de l'église leurs grosmanteaux de fourrure qu'ils serraient à la taille avec des écharpesrouges. Des jeunes gens du village, très élégants dans leurs pelissesà col de loutre, parlaient avec déférence au vieux Nazaire Larouche,un grand homme gris aux larges épaules osseuses qui n'avait rienchangé pour la messe à sa tenue de tous les l'ours: vêtement court detoile brune doublé de peau de mouton, culottes rapiécées et gros basde laine gris dans des mocassins en peau d'orignal.

—Eh bien, monsieur Larouche, ça marche-t-il toujours de l'autre bordde l'eau?

—Pas pire, les jeunesses. Pas pire!

Chacun tirait de sa poche sa pipe et la vessie de porc pleine defeuilles de tabac hachées à la main et commençait à fumer d'un airde contentement, après une heure et demie de contrainte. Tout enaspirant les premières bouffées ils causaient du temps, du printempsqui venait, de l'état de la glace sur le lac Saint-Jean et sur lesrivières, de leurs affaires et des nouvelles de la paroisse, enhommes qui ne se voient guère qu'une fois la semaine à cause desgrandes distances et des mauvais chemins.

—Le lac est encore bon, dit Cléophas Pesant, mais les rivières nesont déjà plus sûres. La glace s'est fendue cette semaine à ras lebanc de sable en face de l'île, là où il y a eu des trous chauds toutl'hiver.

D'autres commençaient à parler de la récolte probable, avant même quela terre se fût montrée.

—Je vous dis que l'année sera pauvre, fit un vieux, la terre avaitgelé avant les premières neiges.

Puis les conversations se ralentirent et l'on se tourna vers lapremière marche du perron, d'où Napoléon Laliberté se préparait àcrier, comme toutes les semaines, les nouvelles de la paroisse.

Il resta immobile et muet quelques instants, attendant lesilence, les mains à fond dans les poches de son grand manteau deloup-cervier, plissant le front et fermant à demi ses yeux vifs sousla toque de fourrure profondément enfoncée; et quand le silence futvenu, il se mit à crier les nouvelles de toutes ses forces, de lavoix d'un charretier qui encourage ses

...

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