Le comte de Buondelmonte, revenant d'un voyage dequelques journées aux environs de Florence, fut versépar la maladresse de son postillon, et tomba, sans se faireaucun mal, dans un fossé de plusieurs pieds de profondeur.La chaise de poste fut brisée, et le comte allaitêtre forcé de gagner à pied le plus prochain relais, lorsqu'unecalèche de voyage, qu'avait changé de chevauxpeu après lui à la poste précédente, vint à passer. Lespostillons des deux voitures entamèrent un dialogued'exclamations qui aurait pu durer longtemps encore sansremédier à rien, si le voyageur de la calèche, ayant jetéun regard sur le comte, n'eût proposé le dénoûment naturelà ces sortes d'accidents: il pria poliment Buondelmontede monter dans sa voiture et de continuer aveclui son voyage. Le comte accepta sans répugnance, carles manières distinguées du voyageur rendaient au moinstolérable la perspective de passer plusieurs heures entête-a-tête avec un inconnu.
Le voyageur se nommait Olivier; il était Genevois,fils unique, héritier d'une grande fortune. Il avait vingtans et voyageait pour son instruction ou son plaisir.C'était un jeune homme blanc, frais et mince. Sa figureétait charmante, et sa conversation, sans avoir un grandéclat, était fort au-dessus des banalités que le comte,encore un peu aigri intérieurement de sa mésaventure,s'attendait à échanger avec lui. La politesse, néanmoins,empêcha les deux voyageurs de se demander mutuellementleur nom.
Le comte, forcé de s'arrêter au premier relais pour yattendre ses gens, leur donner ses ordres et faire raccommodersa chaise brisée, voulut prendre congé d'Olivier;mais celui-ci n'y consentit point. Il déclara qu'il attendraità l'auberge que son compagnon improvisé eût régléses affaires, et qu'il ne repartirait qu'avec lui pour Florence.«Il m'est absolument indifférent, lui dit-il, d'arriverdans cette ville quelques heures plus tard; aucuneobligation ne m'appelle impérieusement dans un lieu oudans un autre. Je vais, si vous me le permettez, faire préparerle dîner pour nous deux. Vos gens viendront vousparler ici, et nous pourrons repartir dans deux ou troisheures, afin d'être à Florence demain matin.»
Olivier insista si bien que le Florentin fut contraint dese rendre à sa politesse. La table fut servie aussitôt parles ordres du jeune Suisse; et le vin de l'auberge n'étantpas fort bon, le valet de chambre d'Olivier alla chercherdans la calèche quelques bouteilles d'un excellent vin duRhin que le vieux serviteur réservait à son maître pourles mauvais gîtes.
Le comte, qui, même sur les meilleures apparences,se livrait rarement avec des étrangers, but très-modérémentet s'en tint à une politesse franche et de bonne humeur.Le Genevois, plus expansif, plus jeune, et sachantbien, sans doute, qu'il n'était forcé de veiller à la garded'aucun secret, se livra au plaisir de boire plusieurslarges verres d'un vin généreux, après une journée desoleil et de poussière. Peut-être aussi commençait-il às'ennuyer de son voyage solitaire, et la société d'unhomme d'esprit l'avait-elle disposé à la joie: il devintcommunicatif.
Il est fort rare qu'un homme parle de lui-même sansdire bientôt quelque impertinence: aussi le comte,qu'une certaine malice contractée dans le commerce dumonde abandonnait rarement, s'attendait-il à chaqueinstant à découvrir dans son compagnon ce levain d'égoïsmeet de fatuité que nous avons tous au-dessous del'épiderme. Il fut surpris d'avoir longtemps attendu inutilement;il essaya de flatter toutes les idées du jeunehomme pour lui trouver enfin un ridicule, et il n'y parvintpas; ce qui le piqua un peu; car il n'était pas habituéà déployer en vain les finesses gracieuses de sapénétration.
«Monsieur, dit le Genevois da