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1856
Cependant, en se voyant surveillée par Wenceslawa comme elle ne l'avaitjamais été, Consuelo craignit d'être contrariée par un zèle malentendu,et se composa un maintien plus froid, grâce auquel il lui fut possible,dans la journées, d'échapper à son attention, et de prendre, d'un piedléger, la route du Schreckenstein. Elle n'avait pas d'autre idée dans cemoment que de rencontrer Zdenko, de l'amener à une explication, et desavoir définitivement s'il voulait la conduire auprès d'Albert. Elle letrouva assez près du château, sur le sentier qui menait au Schreckenstein.Il semblait venir à sa rencontre, et lui adressa la parole en bohémienavec beaucoup de volubilité.
«Hélas! je ne te comprends pas, lui dit Consuelo lorsqu'elle put placerun mot; je sais à peine l'allemand, cette dure langue que tu hais commel'esclavage et qui est triste pour moi comme l'exil. Mais, puisque nousne pouvons nous entendre autrement, consens à la parler avec moi; nousla parlons aussi mal l'un que l'autre: je te promets d'apprendre lebohémien, si tu veux me l'enseigner.»
A ces paroles qui lui étaient sympathiques, Zdenko devint sérieux, ettendant à Consuelo une main sèche et calleuse qu'elle n'hésita point àserrer dans la sienne:
«Bonne fille de Dieu, lui dit-il en allemand, je t'apprendrai ma langueet toutes mes chansons. Laquelle veux-tu que je te dise pour commencer?»
Consuelo pensa devoir se prêter à sa fantaisie en se servant des mêmesfigures pour l'interroger.
«Je veux que tu me chantes, lui dit-elle, la ballade du comte Albert.
—Il y a, répondit-il, plus de deux cent mille ballades sur mon frère
Albert. Je ne puis pas te les apprendre; tu ne les comprendrais pas.
J'en fais tous les jours de nouvelles, qui ne ressemblent jamais aux
anciennes. Demande-moi toute autre chose.
—Pourquoi ne te comprendrais-je pas? Je suis la consolation. Je me nommeConsuelo pour toi, entends-tu? et pour le comte Albert qui seul ici meconnaît.
—Toi, Consuelo? dit Zdenko avec un rire moqueur. Oh! tu ne sais ce quetu dis. La délivrance est enchaînée….
—Je sais cela. La consolation est impitoyable. Mais toi, tu nesais rien, Zdenko. La délivrance a rompu ses chaînes, la consolation abrisé ses fers.
—Mensonge, mensonge! folies, paroles allemandes! reprit Zdenko enréprimant ses rires et ses gambades. Tu ne sais pas chanter.
—Si fait, je sais chanter, repartit Consuelo. Tiens, écoute.»
Et elle lui chanta la première phrase de sa chanson sur les troismontagnes, qu'elle avait bien retenue, avec les paroles qu'Amélie l'avaitaidée à retrouver et à prononcer.
Zdenko l'écouta avec ravissement, et lui dit en soupirant:
«Je t'aime beaucoup, ma soeur, beaucoup, beaucoup! Veux-tu que jet'apprenne une autre chanson?
—Oui, celle du comte Albert, en allemand d'abord; tu me l'apprendrasaprès en bohémien.
—Comment commence-t-elle?» dit Zdenko en la regardant avec malice.
Consuelo commença l'air de la chanson de la veille: