Spiridion a été écrit en grande partie, et terminédans la Chartreuse de Valdemosa, aux gémissements dela bise dans les cloîtres en ruines. Certes, ce lieuromantique eût mieux inspiré un plus grand poète.Heureusement le plaisir d'écrire ne se mesure pas aumérite de l'œuvre, mais à l'émotion de l'artiste; sansdes préoccupations souvent douloureuses, j'aurais étébien satisfaite de cette cellule de moine dans un sitesublime, où le hasard, ou plutôt la nécessité résultantde l'absence de tout autre asile, m'avait conduite et miseprécisément dans le milieu qui convenait au sujet de celivre commencé à Nohant.
GEORGE SAND.
Nohant, 25 août 1855.
À M. PIERRE LEROUX.
Ami et frère par les années, père et maître par la vertu et la science,agréez l'envoi d'un de mes contes, non comme un travail digue de vousêtre dédié, mais comme un témoignage d'amitié et de vénération.
George Sand.
Lorsque j'entrai comme novice au couvent des Bénédictins,j'étais à peine âgé de seize ans. Mon caractèredoux et timide sembla inspirer d'abord la confiance etl'affection; mais je ne tardai pas à voir la bienveillancedes frères se changer en froideur; et le père trésorier,qui seul me conserva un peu d'intérêt, me prit plusieursfois à part pour me dire tout bas que, si je ne faisaisattention à moi-même, je tomberais dans la disgrâce duPrieur.
Je le pressais en vain de s'expliquer; il mettait undoigt sur ses lèvres, et, s'éloignant d'un air mystérieux,il ajoutait pour toute réponse:
«Vous savez bien, mon cher fils, ce que je veux dire.»
Je cherchais vainement mon crime. Il m'était impossible,après le plus scrupuleux examen, de découvriren moi des torts assez graves pour mériter une réprimande.Des semaines, des mois s'écoulèrent, et l'espècede réprobation tacite qui pesait sur moi ne s'adoucitpoint. En vain je redoublais de ferveur et de zèle; envain je veillais à toutes mes paroles, à toutes mes pensées;en vain j'étais le plus assidu aux offices et le plus ardentau travail; je voyais chaque jour la solitude élargir uncercle autour de moi. Tous mes amis m'avaient quitté.Personne ne m'adressait plus la parole. Les novices lesmoins réguliers et les moins méritants semblaient s'arrogerle droit de me mépriser. Quelques-uns même, lorsqu'ilspassaient près de moi, serraient contre leur corpsles plis de leur robe, comme s'ils eussent craint detoucher un lépreux. Quoique je récitasse mes leçonssans faire une seule faute, et que je fisse dans le chantde très-grands progrès, un profond silence régnait dansles salles d'étude quand ma timide voix avait cessé derésonner sous la voûte. Les docteurs et les maîtresn'avaient pas pour moi un seul regard d'encouragement,tandis que des novices nonchalants ou incapables étaientcomblés d'éloges et de récompenses. Lorsque je passaisdevant l'abbé, il détournait la tête, comme s'il eût euhorreur de mon salut.
J'examinais tous les mouvements de mon cœur, et jem'interrogeais sévèrement pour savoir si l'orgueil blessén'avait pas une grande part dans ma souffrance. Je pouvaisdu moins me rendre ce témoignage que je n'avaisrien épargné pour combattre toute révolte de la vanité,et je sentais bien que mon cœur était réduit à une tristesseprofonde par l'isolement où on le refoulait, par lemanque d'affection, et non par le manque d'amusementset de flatteries.
Je résolus de prendre pour appui le seul religieuxqui ne pût fuir mes confidences, mon confesseur. J'allaime jeter à ses