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1897
J'avais trente-cinq ans, Césarine Dietrich en avait quinze et venait deperdre sa mère, quand je me résignai à devenir son institutrice et sagouvernante.
Comme ce n'est pas mon histoire que je compte raconter ici, je nem'arrêterai pas sur les répugnances que j'eus à vaincre pour entrer, moifille noble et destinée à une existence aisée, chez une famille debourgeois enrichis dans les affaires. Quelques mots suffiront pour direma situation et le motif qui me détermina bientôt à sacrifier maliberté.
Fille du comte de Nermont et restée orpheline avec ma jeune soeur, jefus dépouillée par un prétendu ami de mon père qui s'était chargé deplacer avantageusement notre capital, et qui le fit frauduleusementdisparaître. Nous étions ruinées; il nous restait à peine le nécessaire,je m'en contentai. J'étais laide, et personne ne m'avait aimée. Je nedevais pas songer au mariage; mais ma soeur était jolie; elle futrecherchée et épousée par le docteur Gilbert, médecin estimé, dont elleeut un fils, mon filleul bien-aimé, qui fut nommé Paul; je m'appellePauline.
Mon beau-frère et ma pauvre soeur moururent jeunes à quelques annéesd'intervalle, laissant bien peu de ressources au cher enfant, alors aucollège. Je vis que tout serait absorbé par les frais de son éducation,et que ses premiers pas dans la vie sociale seraient entravés par lamisère; c'est alors que je pris le parti d'augmenter mes faiblesressources par le travail rétribué. Dans une vie de célibat et derecueillement, j'avais acquis quelques talents et une assez solideinstruction. Des amis de ma famille, qui m'étaient restés dévoués,s'employèrent pour moi. Ils négocièrent avec la famille Dietrich, oùj'entrai avec des appointements très-honorables.
Je me hâte de dire que je n'eus point à regretter ma résolution; jetrouvai chez ces Allemands fixés à Paris une hospitalité cordiale, deségards, un grand savoir-vivre, une véritable affection. Ils étaient deuxfrères associés, Hermann et Karl. Leur fortune se comptait déjà parmillions, sans que leur honorabilité eût jamais pu être mise en doute.Une soeur aînée s'était retirée chez eux et gouvernait la maison avecbeaucoup d'ordre, d'entrain et de douceur; elle était à tous autreségards assez nulle, mais elle recevait avec politesse et discrétion, neparlant guère et agissant beaucoup, toujours en vue du bien-être de seshôtes.
M. Dietrich aîné, le père de Césarine, était un homme actif, énergique,habile et obstiné. Son irréprochable probité et son succès soutenu luidonnaient un peu d'orgueil et une certaine dureté apparente avec lesautres hommes. Il se souciait plus d'être estimé et respecté que d'êtreaimé; mais avec sa fille, sa soeur et avec moi il fut toujours d'unebonté parfaite et même délicate et courtoise.
Je me trouvai donc aussi heureuse que possible dans ma nouvellecondition, j'y fus appréciée, et je pus