DEUXIÈME ÉDITION
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 13
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
Les événements que je vais raconter sont si étranges,les personnages que je vais mettre en scène sontsi extraordinaires, que je crois devoir, avant de leurlivrer le premier chapitre de mon livre, causer pendantquelques minutes de ces événements et de cespersonnages avec mes futurs lecteurs.
Les événements appartiennent à cette période duDirectoire comprise entre l'année 1798 et 1800. Lesdeux faits dominants sont la conquête du royaumede Naples par Championnet, et la restauration du roiFerdinand par le cardinal Ruffo;—deux faits aussiincroyables l'un que l'autre, puisque Championnet,avec 10,000 républicains, bat une armée de 65,000soldats, et s'empare, après trois jours de siége, d'unecapitale de 500,000 habitants, et que Ruffo, parti deMessine avec cinq personnes, fait la boule de neige,traverse toute la péninsule, de Reggio au pont de laMadeleine, arrive à Naples avec 40,000 sanfédistes etrétablit sur le trône le roi déchu.
Il faut Naples, son peuple ignorant, mobile et superstitieuxpour que de pareilles impossibilités deviennentdes faits historiques.
Donc, voici le cadre:
L'invasion des Français, la proclamation de la républiqueparthénopéenne, le développement des grandesindividualités qui ont fait la gloire de Naples pendantles quatre mois que dura cette république, la réactionsanfédiste de Ruffo, le rétablissement de Ferdinandsur le trône et les massacres qui furent la suite decette restauration.
Quant aux personnages, comme dans tous les livresde ce genre que nous avons écrits, ils se divisenten personnages historiques et en personnages d'imagination.
Une chose qui va paraître singulière à nos lecteurs,c'est que nous leur livrons, sans plaider aucunementleur cause, les personnages de notre imagination quiforment la partie romanesque de ce livre; ces lecteursont été pendant plus d'un quart de siècle assezindulgents à notre égard, pour que, reparaissantaprès sept ou huit ans de silence, nous ne croyionspas avoir besoin de faire appel à leur ancienne sympathie.Qu'ils soient pour nous ce qu'ils ont toujoursété, et nous nous regarderons comme trop heureux.
Mais c'est de quelques-uns des personnages historiques,au contraire, qu'il nous paraît de premièrenécessité de les entretenir; sans quoi, nous pourrionscourir ce risque qu'ils soient pris, sinon pour descréations de fantaisie, du moins pour des masquescostumés à notre guise, tant ces personnages historiques,dans leur excentricité bouffonne ou dansleur bestiale férocité, sont en dehors non-seulementde ce qui se passe sous nos yeux, mais encorede ce que nous pouvons imaginer.
Ainsi, nous n'avons nul exemple d'une royauté quinous donne pour spécimen Ferdinand, d'un peuplequi nous donne pour type Mammone.—Vous levoyez, je prends les deux extrémités de l'échelle sociale:le roi, chef d'État; le paysan, chef de bande.
Commençons par le roi, et, pour ne pas faire crierles consciences royalistes à l'impiété monarchique,interrogeons un homme qui a fait deux voyages àNaples, et qui a vu et étudié le roi Ferdinand à l'époqueoù les nécessités de notre plan nous forcent àle mettre en scène. Cet homme est Joseph Gorani,citoyen français, comme il s'intitule lui-même, auteurdes Mémoires secrets et critiques des cours et gouvernementset des moeurs des principaux États de l'Italie.
Citons trois fragments de ce livre, et montrons ler