PAR
NOUVELLE ÉDITION
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1869
Droits de reproduction et de traduction réservés
DE
Clichy.—Impr. M. Loignon, Paul Dupont et Cie, 12, rue duBac-d'Asnières.
C'est à la suite des néfastes journées de juin 1848, que troublé etnavré, jusqu'au fond de l'âme, par les orages extérieurs, jem'efforçai de retrouver dans la solitude, sinon le calme, au moins lafoi. Si je faisais profession d'être philosophe, je pourrais croire ouprétendre que la foi aux idées entraîne le calme de l'esprit enprésence des faits désastreux de l'histoire contemporaine: mais iln'en est point ainsi pour moi, et j'avoue humblement que la certituded'un avenir providentiel ne saurait fermer l'accès, dans une âmed'artiste, à la douleur de traverser un présent obscurci et déchirépar la guerre civile.
Pour les hommes d'action qui s'occupent 2 personnellement du faitpolitique, il y a, dans tout parti, dans toute situation, une fièvred'espoir ou d'angoisse, une colère ou une joie, l'enivrement dutriomphe ou l'indignation de la défaite. Mais pour le pauvre poëte,comme pour la femme oisive, qui contemplent les événements sans ytrouver un intérêt direct et personnel, quel que soit le résultat dela lutte, il y a l'horreur profonde du sang versé de part et d'autre,et une sorte de désespoir à la vue de cette haine, de ces injures, deces menaces, de ces calomnies qui montent vers le ciel comme un impurholocauste, à la suite des convulsions sociales.
Dans ces moments-là, un génie orageux et puissant comme celui duDante, écrit avec ses larmes, avec sa bile, avec ses nerfs, un poëmeterrible, un drame tout plein de tortures et de gémissements. Il fautêtre trempé comme cette âme de fer et de feu, pour arrêter sonimagination sur les horreurs d'un enfer symbolique, quand on a sousles yeux le douloureux purgatoire de la désolation sur la terre. Denos jours, 3 plus faible et plus sensible, l'artiste, qui n'est quele reflet et l'écho d'une génération assez semblable à lui, éprouve lebesoin impérieux de détourner la vue et de distraire l'imagination, ense reportant vers un idéal de calme, d'innocence et de rêverie. C'estson infirmité qui le fait agir ainsi, mais il n'en doit point rougir,car c'est aussi son devoir. Dans les temps où le mal vient de ce queles hommes se méconnaissent et se détestent, la mission de l'artisteest de célébrer la douceur, la confiance, l'amitié, et de rappelerainsi aux hommes endurcis ou découragés, que les mœurs pures, lessentiments tendres et l'équité primitive, sont ou peuvent être encorede ce monde. Les allusions directes aux malheurs présents, l'appel auxpassions qui fermentent, ce n'est point