La Porte des Rêves

Par

MARCEL SCHWOB

Illustrations de GEORGES DE FEURE.

PARIS
IMPRIMÉ POUR LES BIBLIOPHILES INDÉPENDANTS
Chez Henry FLOURY, Libraire
1899



Table


À Monsieur Samuel POZZI, de l'Académie de Médecine

Mon cher Docteur

Les Anciens croyaient que deux portes s'ouvrent sur leroyaume noir de l'Érèbe; l'une, légère, laisse s'envoler parminous les songes ailés; l'autre, massive, se referme sur ceux quil'ont franchie, pour toujours.

J'étais descendu jusqu'au seuil de la porte inexorable. Vousm'avez saisi de votre main "qui guérit tout ce quelle touche"et vous m'avez ramené vers le soleil.

Grâce à vous, j'ai pu encore rêver ces rêves. Qu'ils voussoient donnés comme un faible témoignage de ma reconnaissanceéternelle.

Votre ami

MARCEL SCHWOB

Paris, Octobre 1898.



LA FLÛTE

La tempête nous avait poussés très loin descôtes où nous avions accoutumé de faire lacourse. Pendant de longues journées sombres, le navire avaitplongé, le nez en avant, à travers les masses d'eau verte crêteléesd'écume. Le ciel noir semblait se rapprocher de l'Océan, mêmeau-dessus de nos têtes; l'horizon seul était entouré d'une marquelivide, et nous errions sur le pont comme des ombres. Des fanauxpendaient à chaque vergue, et le long de leurs verres suintaientperpétuellement les gouttes de pluie, si bien que la lumière en étaitincertaine. À l'arrière, les hublots de l'habitacle du timonier luisaientd'un rouge transparent et humide. Les hunes étaient desdemi-cercles d'obscurité; de la noirceur supérieure, dans les sautesde vent, émergeaient les voiles blêmes. Quelquefois les lanternes,en se balançant, faisaient se refléter des lueurs de cuivre dans lespoches d'eau des prélarts qui couvraient les canons.

Nous chassions ainsi sous le vent depuis notre dernière prise.Les grappins d'abordage pendaient encore le long de la carène; etl'eau du ciel avait lavé et massé, en s'écoulant, tous les débris ducombat. Car dans des tas confus gisaient encore des cadavresvêtus d'étoffes à boutons de métal, des haches, des sabres, dessifflets, des tronçons de chaînes et des cordages, avec des bouletsrainés; des mains pâles étreignaient les crosses de pistolet, lespommeaux d'épée; des faces mitraillées, mi-couvertes par lescabans, ballottaient dans les manœuvres, et on glissait parmi desmorts détrempés.

Cet ouragan sinistre nous avait ôté le courage de déblayer.Nous attendions le jour pour reconnaître nos compagnons, et lescoudre dans leurs sacs;

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