Note 1: (return) L'épisode qui précède a pour titre:la Duchesse d'Arvernes.
La saison de Bade était dans tout son éclat; et unelutte qui s'était établie entre deux joueurs russes, leprince Savine et le prince Otchakoff, offrait auxcurieux et à la chronique les péripéties les plus émouvantes.
C'était pendant l'hiver précédent que le prince Otchakoffavait fait son apparition dans le monde parisien,et en quelques mois, par ses gains ou sespertes, surtout par le sang-froid imperturbable et lesourire dédaigneux avec lesquels il acceptait une culottede cinq cent mille francs, il s'était conquis uneréputation tapageuse qui avait failli donner la jaunisseau prince Savine, habitué depuis de longues années àse considérer orgueilleusement comme le seul Russedigne d'occuper la badauderie parisienne.
C'était un petit homme chétif et maladif que ceprince Otchakoff et qui, n'ayant pas vingt-cinq ans,paraissait en avoir quarante, bien qu'il fût blond etimberbe. Dans ce Paris où l'on rencontre tant dephysionomies ennuyées et vides, on n'avait jamais vuun homme si triste, et rien qu'à le regarder avec sestraits fatigués, ses yeux éteints, son visage jaune etridé, son attitude morne, on était pris d'une irrésistibleenvie de bâiller.
Après avoir essayé de tout il avait trouvé qu'il n'yavait que le jeu qui lui donnât des émotions, et iljouait pour se sentir vivre autant que pour faire dubruit en ce monde, ce qui était sa grande, sa seuleambition.
Sa santé étant misérable, sa fortune étant inépuisable,le jeu était le seul excès qu'il pût se permettre,et il jouait comme d'autres s'épuisent, s'indigèrent ous'enivrent.
Comme tant d'autres, il aurait pu se faire un nomen achetant des collections de tableaux ou de potichesqui l'auraient ennuyé, en prenant une maîtresseen vue qui l'aurait affiché, en montant uneécurie de course qui l'aurait dupé; mais en espritpratique qu'il était, il avait trouvé que le plus simpleencore et le moins fatigant, était d'abattre nonchalammentune carte, de pousser une liasse de billetsde banque à droite ou à gauche et de dire sans sepresser: «Je tiens.»
Et ce calcul s'était trouvé juste. En six mois cenom d'Otchakoff était devenu célèbre, les journauxl'avaient cité, tambouriné, trompété, et la foule moutonnièrel'avait répété. Ce jeune homme, qui n'avaitjamais fait autre chose dans la vie que de tourner unecarte et de combiner un coup, était devenu un personnage.
Mais une réputation ne surgit pas ainsi sans susciterla jalousie et l'envie: le prince Savine, qui detrès bonne foi croyait être le seul digne de représenteravec éclat son pays à Paris, avait été exaspéré parce bruit. Si encore cet intrus, qui venait prendre unepart, et une très grosse part de cette célébrité mondainequ'il voulait pour lui tout seul avait été Anglais,Turc, Mexicain, il se serait jusqu'à un certain pointcalmé en le traitant de sauvage; mais un Russe! unRusse qui se montrait plus riche que lui, Savine! unRusse qu'on disait, et cela était vrai, d'une noblesseplus haute et plus ancienne que la sienne à lui Savine!Il fallait que n'importe à quel prix, même auprix de son argent, auquel il tenait tant, il défendit saposition menacée et se maintînt au rang qu'il avaitconquis, qu'il occupait sans rivaux depuis plusieursannées et qui le rendait si glorieux.
Alors, lui toujours si rogue et si gonflé, s'était faitl'homme le p