DE L'ÉDUCATION
D'UN HOMME SAUVAGE.
OU
DES PREMIERS DÉVELOPPEMENS
PHYSIQUES ET MORAUX
DU
JEUNE SAUVAGE DE L'AVEYRON.
Par E. M. Itard, Médecin de l'InstitutionNationale des Sourds-Muets, Membre de laSociété Médicale de Paris, etc.
Quant on dit que cet enfant ne donnait aucun signe deraison, ce n'est pas qu'il ne raisonnât suffisamment pourveiller à sa conservation; mais c'est que sa réflexion, jusqu'alorsappliquée à ce seul objet, n'avait point eu occasion de se portersur ceux dont nous nous occupons...Le plus grand fonds des idées des hommes estdans leur commerce réciproque.
Condillac.
A PARIS,
Chez Goujon fils, Imprimeur-Libraire, rue Taranne,
No. 737.
VENDÉMIAIRE AN X. (1801).
Conformément à la loi du 19 juillet 1793, deuxexemplaires ont été déposés à la Bibliothèque nationale,munis de nos signatures, comme ci-dessous.
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Jeté sur ce globe, sans forces physiqueset sans idées innées, hors d'état d'obéirpar lui-même aux lois constitutionnelles de sonorganisation, qui l'appellent au premierrang du systême des êtres, l'homme nepeut trouver qu'au sein de la société laplace éminente qui lui fut marquée dans lanature, et serait sans la civilisation, un desplus faibles et des moins intelligens desanimaux: vérité, sans doute, bien rebattue,mais qu'on n'a point encore rigoureusementdémontrée. Les philosophes quil'ont émise les premiers, ceux qui l'ontensuite soutenue et propagée, en ont donnépour preuve, l'état physique et moral dequelques peuplades errantes, qu'ils ont regardéescomme non civilisées, parce qu'ellesne l'étaient point à notre manière, et chezlesquelles ils ont été puiser les traits del'homme dans le pur état de nature. Non,quoi qu'on en dise, ce n'est point là encore-2-qu'il faut le chercher et l'étudier. Dans lahorde sauvage la plus vagabonde, commedans la nation d'Europe la plus civilisée,l'homme n'est que ce qu'on le fait être;nécessairement élevé par ses semblables, ilen a contracté les habitudes et les besoins;ses idées ne sont plus à lui; il a joui de laplus belle prérogative de son espèce, la susceptibilitéde développer son entendementpar la force de l'imitation et l'influence dela société.
On devait donc chercher ailleurs le typede l'homme véritablement sauvage, de celuiqui ne doit rien à ses pareils, et le déduiredes histoires particulières du petitnombre d'individus qui, dans le cours du17e. siècle, et au commencement du 18e.,ont été trouvés, à différens intervalles,vivant isolément dans les bois où ils avaientété abandonnés dès l'âge le plus tendre[1].Mais telle était, dans ces tems reculés, lamarche défectueuse de l'étude de la sciencelivré