HUGUES REBELL
Femmes châtiées.—Deuxième série
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES PARISIENS
13, Faubourg Montmartre, 13
1905
Il a été tiré de cet ouvragecinq exemplaires surJapon impérial, numérotésde 1 à 5, et cinq cents surpapier de Hollande numérotésde 6 à 505
Le présent estNo
Droits de reproduction et de traduction réservés.
Par suite d'un incendie qui s'étaitdéclaré la veille, après le spectacle,et qui promptement étouffé, avaitcausé quelques dégâts, le cirque Cusani faisaitrelâche. Bichot Lagingeole, le clown favori dupublic, dont le nom éclatait en grosses lettressur tous les programmes comme s'il devait enêtre l'attrait principal, Bichot qui ne pouvaitmontrer son long corps dégingandé et sa faceahurie, taillée en sabre, sans mettre en gaietétoute une salle, Bichot se reposait ce soir-làde ses farces triomphales et fatigantes. Maishabitué à veiller fort tard et ayant dormi toutle jour il n'avait point sommeil; aussi se leva-t-ilà peu près à l'heure de la représentation,plus embarrassé par ce congé inattendu que parles exercices les plus difficiles. Il se demandaità quoi il allait bien employer son temps.
—Si nous nous promenions? dit-il enfin.
Il laissa son chapeau pointu et sa culottebouffante à un clou de sa logette, et revêtit uncostume de ville fort commun et déjà râpé,mais qui ne laissait en rien deviner l'acrobate,puis il alla chercher la petite Juzaine qui était àl'écurie auprès de la belle jument blanche Reine-de-Mai.
—Allons, Juzaine, vite! mets-toi quelquechose sur la tête, prends ton manteau. Nousallons en ballade.
—Oh! chic! s'écria la fillette qui bonditaussitôt de l'écurie dans le couloir, s'élançalégèrement vers la logette du clown et revintun instant après, habillée pour sortir.
Bichot lui prit la main et ils montèrent lesétroites ruelles de la butte Montmartre. Touten haut, rue Gabrielle, Bichot connaissait unpetit restaurant où il allait quelquefois déjeunerou jouer à la manille. Il se proposait d'y souperavec Juzaine.
Ils étaient sans doute pressés d'arriver et dansleur hâte ils ne se parlaient point, mais onremarquait chez le clown à sa manière de tenirJuzaine, de régler sa marche sur celle de l'enfant,de se pencher de temps à autre vers elle,comme une affectueuse sollicitude.
Juzaine paraissait avoir une douzaine d'années.Bien qu'elle ne vînt pas même à l'épaule de soncompagnon, elle était déjà grande, elle était surtoutjoliment grassouillette, et, sous ses beauxcheveux d'un blond pâle, son teint avait l'éclatet la fraîcheur rosée dont Rubens se plaît à embellirses nymphes et Hoppner ses gracieuxvisages de jeunes filles.
Elle semblait aussi toute heureuse d'être àcôté de Bichot; sautait les flaques d'eau etdescendait les trottoirs avec des gambades etdes élans de plaisir.
Au cirque on prétendait qu'elle était la filledu clown; la vérité est qu'il l'avait ramenéede Belgique; on ne savait rien de plus. Il luitémoignait une tendresse toute paternelle à laquelleil mêlait peut-être une passion moins désintéresséeet qui n'aurait pas été innocente siJuzaine avait eu l'âge d'y répondre.
A l'entrée de la rue Gabrielle, Juzaine abandonnala main de son compag