ENFANCE ET ADOLESCENCE

Par

LÉON TOLSTOÏ

TRADUCTION DE MICHEL DELINES

Édition spéciale pour la Jeunesse

REVUE PAR L'AUTEUR

DESSINS PAR L. BENETT ET G. ROUX

BIBLIOTHÈQUE DES SUCCÈS SCOLAIRES
J. HETZEL, 18, RUE JACOB
PARIS, VIe
1886


Table des matières


L'ENFANCE


CHAPITRE I

NOTRE PRÉCEPTEUR KARL IVANOVITCH

Le 12 août 18.., trois jours après le dixième anniversaire de manaissance, où j'avais été comblé de tant de merveilleux cadeaux, KarlIvanovitch me réveilla à sept heures du matin en abattant une moucheau-dessus de mon oreiller, au moyen d'une feuille de papier collée à unbâton. Il s'y prit si maladroitement que sa main heurta la petite imagede mon ange gardien accrochée au haut dossier de mon lit en bois dechêne, et que l'insecte tomba droit sur ma tête.

Je sortis le nez de sous la couverture, j'arrêtai de la main la petiteimage qui se balançait toujours, et jetai la mouche écrasée sur leplancher. Bien qu'à moitié endormi, je dardai des regards furieux àKarl Ivanovitch.

Notre précepteur, à mon frère et à moi, vêtu d'une robe de chambred'indienne, retenue à la taille par une ceinture de même étoffe, etcoiffé d'une calotte rouge tricotée, ornée d'un gland, les jambesenfouies dans des bottes molles en peau de bouc, continuait à longerles murs pour viser les mouches, et tapait à vide avec un bruitretentissant.

«Soit, pensais-je en moi-même, c'est vrai, je ne suis qu'un petitgarçon, mais est-ce une raison pour troubler mon sommeil? Pourquoi neva-t-il pas chasser les mouches près du lit de Volodia? La tapisserieen est toute noire dans ce coin! Mais non, Volodia est plus âgé, etc'est parce que je suis petit qu'il me tourmente ainsi. Il passe savie à me faire des choses désagréables.... Il sait très bien qu'ilm'a réveillé et qu'il m'a effrayé, mais il fait mine de ne pas leremarquer. Oh! quel homme dégoûtant! Et sa robe de chambre, sa calotte,et le mouchet de sa calotte, tout en lui est dégoûtant.»

Pendant que j'exhalais ainsi in petto ma colère contre KarlIvanovitch, il revint vers mon lit, regarda sa montre qui étaitposée contre le mur, dans un petit soulier brodé de perles de verre,suspendit le chasse-mouche à un clou, et, se retournant de notre côté,de la plus belle humeur du monde, il s'écria, de sa bonne grosse voix:

«Debout, enfants, debout, il est temps de se lever, maman est déjà ausalon.» Puis il revint vers moi, s'assit au pied de mon lit et tira unetabatière de sa poche.

Je feignis de dormir; Karl Ivanovitch s'administra d'abord une prise,se moucha, fit claquer ses doigts, et, se tournant vers moi ensouriant, se mit à me chatouiller la plante des pieds.

«Lève-toi, lève-toi, petit paresseux!» répétait-il.

Malgré ma crainte d'être chatouillé, au lieu de sauter à bas du lit,je m'enfouis plus profondément sous les oreillers, et, sans répondre,je me mis à donner des coups de pied vigoureux, en prenant toutes lespeines du monde pour me retenir de rire.

«Comme il est bon, pourtant! pensais-je,

...

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