LES VOYAGES EXTRAORDINAIRES
LES
TRIBULATIONS
D'UN
CHINOIS EN CHINE
PAR
JULES VERNE
DESSINS PAR BENETT
COLLECTION HETZEL
18, rue Jacob
PARIS (VIe)
Tous droits de traduction et de reproduction réservés.
«Il faut pourtant convenir que la vie a du bon! s'écria l'un desconvives, accoudé sur le bras de son siège à dossier de marbre, engrignotant une racine de nénuphar au sucre.
—Et du mauvais aussi! répondit, entre deux quintes de toux, un autre,que le piquant d'un délicat aileron de requin avait failli étrangler!
—Soyons philosophes! dit alors un personnage plus âgé, dont le nezsupportait une énorme paire de lunettes à larges verres, montées surtiges de bois. Aujourd'hui, on risque de s'étrangler, et demain toutpasse comme passent les suaves gorgées de ce nectar! C'est la vie, aprèstout!»
Et cela dit, cet épicurien, d'humeur accommodante, avala un verre d'unexcellent vin tiède, dont la légère vapeur s'échappait lentement d'unethéière de métal.
«Quant à moi, reprit un quatrième convive, l'existence me paraît trèsacceptable, du moment qu'on ne fait rien et qu'on a le moyen de ne rienfaire!
—Erreur! riposta le cinquième. Le bonheur est dans l'étude et letravail. Acquérir la plus grande somme possible de connaissances, c'estchercher à se rendre heureux!...
—Et à apprendre que, tout compte fait, on ne sait rien!
—N'est-ce pas le commencement de la sagesse?
—Et quelle en est la fin?
—La sagesse n'a pas de fin! répondit philosophiquement l'homme auxlunettes. Avoir le sens commun serait la satisfaction suprême!»
Ce fut alors