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Guy de Maupassant
(1883)
Jeanne, ayant fini ses malles, s'approcha de la fenêtre, mais lapluie ne cessait pas.
L'averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et lestoits. Le ciel, bas et chargé d'eau, semblait crevé, se vidant surla terre, la délayant en bouillie, la fondant comme du sucre. Desrafales passaient, pleines d'une chaleur lourde. Le ronflement desruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons,comme des éponges, buvaient l'humidité qui pénétrait au-dedans etfaisait suer les murs de la cave au grenier.
Jeanne, sortie la veille du couvent, libre enfin pour toujours,prête à saisir tous les bonheurs de la vie dont elle rêvait depuissi longtemps, craignait que son père hésitât à partir si le tempsne s'éclaircissait pas, et pour la centième fois depuis le matinelle interrogeait l'horizon.
Puis, elle s'aperçut qu'elle avait oublié de mettre son calendrierdans son sac de voyage. Elle cueillit sur le mur le petit cartondivisé par mois, et portant au milieu d'un dessin la date del'année courante, 1819, en chiffres d'or. Puis, elle biffa à coupsde crayon les quatre premières colonnes, rayant chaque nom desaint jusqu'au 2 mai, jour de sa sortie du couvent.
Une voix, derrière la porte, appela:
— Jeannette!
Jeanne répondit:
— Entre, papa.
Et son père parut.
Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un gentilhommede l'autre siècle, maniaque et bon. Disciple enthousiaste de J.-J.Rousseau, il avait des tendresses d'amant pour la nature, leschamps, les bois, les bêtes.
Aristocrate de naissance, il haïssait par instinct quatre-vingt-treize; mais, philosophe par tempérament et libéral par éducation,il exécrait la tyrannie d'une haine inoffensive et déclamatoire.
Sa grande force et sa grande faiblesse, c'était la bonté, unebonté qui n'avait pas assez de bras pour caresser, pour donner,pour étreindre, une bonté de créateur, éparse, sans résistance,comme l'engourdissement d'un nerf de la volonté, une lacune dansl'énergie, presque un vice.
Homme de théorie, il méditait tout un plan d'éducation pour safille, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre.
Elle était demeurée jusqu'à douze ans dans la maison, puis, malgréles pleurs de la mère, elle fut mise au Sacré-Coeur.
Il l'avait tenue là sévèrement enfermée, cloîtrée, ignorée etignorante des choses humaines. Il voulait qu'on la lui rendîtchaste à dix-sept ans pour la tremper lui-même dans une sorte debain de poésie raisonnable; et, par les champs, au milieu de laterre fécondée, ouvrir son âme, dégourdir son ignorance à l'aspectde l'amour naïf, des tendresses simples des animaux, des loissereines de la vie.
Elle sortait maintenant du couvent, radieuse, pleine de sèves etd'appétits de bonheur, prête à toutes les joies, à tous leshasards charmants que, dans le désoeuvrement des jours, lalongueur des nuits, la solitude des espérances, son esprit avaitdéjà parcourus.
Elle semblait un portrait de Véronèse avec ses cheveux d'un blondluisant qu'on aurait dit avoir déteint sur sa chair, une chaird'aristocrate à peine nuancée de rose, ombrée d'un léger duvet,d'une sorte de velours pâle qu'on apercevait un peu quand lesoleil la caressait. Ses yeux étaient b