J'ai écrit Jean Ziska entre la première et la secondepartie de Consuelo, c'est-à-dire entre Consuelo et laComtesse de Rudolstadt. Ayant eu à consulter des livressur l'histoire des derniers siècles de la Bohême, où j'avaisplacé la scène de mon roman, je fus frappée de l'intérêtet de la couleur de cette histoire des Hussites, qui n'existaiten français que dans un ouvrage long, indigeste,diffus, quasi impossible à lire. Et pourtant ce livre avaitsa valeur et ses côtés saisissants pour qui avait la patiencede les attendre à venir. Je crois en avoir extrait la moelleen conscience et rétabli la clarté qui s'y noyait sous ledésordre des idées et la dissémination des faits.
GEORGE SAND.
Nohant, 17 janvier 1853.
L'histoire de la Bohême est peu répandue chez nous.Pour en faire une étude particulière il faudrait savoir lebohême et le latin. Or, ne sachant pas mieux l'un quel'autre, je me vois forcé d'extraire d'un gros livre, estimableautant qu'indigeste, quelques pages sur la guerredes Hussites, comme explications, comme pièces à l'appui(c'est ainsi qu'on dit, je crois), enfin comme documentsà consulter entre les deux séries principales d'aventuresque j'ai entrepris de raconter sous le titre deConsuelo. En parcourant la Bohême à la piste de mon héroïne,j'avais été frappé du souvenir des antiques prouessesde Jean Ziska et de ses compagnons. Je pris alors quelquesnotes; et ce sont ces notes que je publie maintenant,avec prière aux lecteurs de ne prendre ceci ni pourun roman ni pour une histoire, mais pour le simple récitde faits véritables dont j'ai cherché le sens et la portée,dans mon sentiment plus que dans les ténèbres del'érudition. Les personnes qui s'adonnent à la lecture duroman ne se piquent pas, en général, d'un plus grandsavoir que celles qui l'écrivent. Il est donc arrivé queplusieurs dames m'ont demandé ingénument où le comteAlbert de Rudolstadt avait été pêcher Jean Ziska; ce queJean Ziska venait faire dans mon roman, sur la scène du dix-huitièmesiècle; enfin si Jean Ziska était une fiction ou unefigure historique. Bien loin de dédaigner cette sainte ignorance,je suis charmé de pouvoir faire part à mes patienteslectrices du peu que j'ai lu sur cette matière, et de l'enrichirde quelques contradictions que je me suis permisde puiser à meilleure source; oserai-je dire quelquefoissous mon bonnet? Pourquoi non? J'ai toujours eu la persuasionqu'un savant sec ne valait pas un écolier qui sentparler dans son coeur la conscience des faits humains.
Mon récit commence à la fin de ce fameux et scandaleuxconcile de Constance, où les bûchers de Jean Husset de Jérôme de Prague vinrent apporter un peu de distractionaux ennuis des vénérables pères et des prélatsqui siégeaient dans la docte assemblée. Ou sait qu'ils'agissait d'avoir un pape au lieu de deux qui se disputaientfort scandaleusement l'empire du monde spirituel.On réussite en avoir trois. La discussion fut longue,fastidieuse. Les riches abbés et les majestueux évêquesavaient bien là leurs maîtresses; Constance était devenule rendez-vous des plus belles et des plus opulentes courtisanesde l'univers; mais que voulez-vous? On se lassede tout. L'Église de ce temps-là n'était pas née pour lavolupté seulement; elle sentait ses appétits de dominationsingulièrement méconnus chez les nations remuanteset troublées: le besoin d'un peu de vengeance se faisaitnaturellement sentir. Le grand théologien Jean Gersonétait venu là de la