LES AVENTURES D'UN FIFRE.



I

Le souterrain.

La soixante-neuvième demi-brigade était citée en Égypte pour son corpsde musique, l'un des mieux exercés de l'armée expéditionnaire. Sous larépublique, cette branche de l'art n'était pas cultivée comme elle l'estaujourd'hui où chaque régiment possède un véritable orchestre, arméd'instruments à vent harmonieux et de cuivres sonores. Quand lesclarinettes ne jouaient pas trop faux et que la grosse caisse battait enmesure, on croyait avoir des artistes parfaits.

Un bon fifre surtout était regardé comme la dernière expression de lamusique militaire, et c'était à qui se procurerait ce phénix rare etrecherché. Sous ce rapport, la soixante-neuvième ne laissait rien àdésirer: son fifre passait pour l'une des merveilles du genre. Dans lessérénades de la place de L'Ezbékié, où logeait l'état-major, c'était luiqui exécutait, les solo, et il s'en acquittait avec un talent qui luivalut plus d'un illustre suffrage. Quand l'entrepreneur du Tivoliégyptien voulait organiser une fête dansante, il commençait pars'assurer la collaboration du fifre de la soixante-neuvième. Plus d'unefois, Bonaparte lui-même le fit appeler pour charmer les loisirs de ladame de ses pensées. Le fifre, il faut le dire, méritait ces honneurs.Ce n'était pas un artiste ordinaire, exécutant machinalement quelquesvieux airs sur le mode aigu. Il avait un répertoire varié et se piquaitde tenir la demi-brigade à la hauteur des partitions récentes. La Marchedes Tartares de Kreutzer, les chœurs de Paul et Virginie luiétaient familiers. Quand il touchait à la musique ancienne, c'était enconnaisseur. Il demandait des motifs à l'Orphée et à l'Alceste deGluck, à la Didon de Puccini, aux bons opéras de Lulli et de Rameau,et ne se privait pas de mettre le Devin du village en variations.Jamais fifre ne fut mieux doué par la nature.

On le connaissait dans la demi-brigade sous le nom de Roquet. Il estpossible que ce ne fût pas là son nom véritable; mais personne ne lui endonnait d'autre. C'était un enfant de troupe qui avait été élevé dans lachambrée, petit de taille et peut-être un peu noué: de là lui était venuson sobriquet. Roquet avait fait les premières campagnes du Rhin commel'enfant de là soixante-neuvième. Quand il eut douze ans, le major luifit cadeau d'un fifre, et, au bout de huit jours, il en tirait déjà dessons satisfaisants. La demi-brigade rendit justice à cette vocation,précoce, et, après un mois d'exercice, Roquet était incorporé commesecond fifre. A quinze ans, il passa premier fifre; c'était son bâton,de maréchal. Dès ce moment l'amour de son art le domina tout entier.

Dans, les premiers jours qui suivirent l'occupation du Caire, l'aspectde la ville et des environs défraya la curiosité du soldat. Ce quisurtout attira les visiteurs, ce furent les colosses en pierre dontBonaparte avait évoqué le souvenir, au moment de la bataille décisivequi lui livra l'Égypte. Presque tous les corps allèrent à leur tourcontempler ces pyramides assises sur les confins du désert et déjàatteintes par les envahissements des sables. Leur masse imposantesemblait planer sur ces solitudes et marquer la place où fut cetteMemphis, que dévastèrent Cambyse et Amrou. Tout cet espace estaujourd'hui frappé de stérilité et en proie à la dévastation. Quelquesbouquets de palmiers et d'acacias épineux (l'acanthe des Égyptiens)varient seuls la monotonie et la tristesse du paysage. Sur cette lande,aujourd'hui si nue, s'éleva pourtant l'une des plus grandes capitales dumonde ancien, et là, où quelques villageois épars, végètent à pein

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!