Par JACOMY-RÉGNIER.
PARIS
IMPRIMERIE ET LIBRAIRIE CENTRALES DE NAPOLÉON CHAIX ET Ce.
RUE BERGÈRE, 20.
1855
Nés au sein d'une civilisation héritière de toutes lesrichesses morales, intellectuelles et matérielles dont lessiècles se sont transmis le dépôt, dépôt incessammentaccru par le travail de chacun d'eux, nous jouissons detout ce qui nous entoure avec une insouciance qui estune véritable ingratitude, ou avec un orgueil qui estune injustice flagrante. Qui de nous, en lisant l'histoiredes Gaulois et des Francs, ne s'est cru doué d'une intelligencesupérieure à celle de ces vieux aïeux? Qui(Page6)de nous, en lisant les récits des voyageurs qui ont visitédes peuples restés étrangers à la marche du progrèshumain à travers les âges, n'a pris en pitié la faiblessed'esprit de ces peuples et ne les a supposés d'une natureinférieure à la nôtre?
Nous estimons, avec raison, que l'homme qui estquelque chose par lui-même est infiniment plus dignede considération que celui qui a reçu tout faits et sonnom et sa fortune. Si nous étions conséquents avecnous-mêmes, nous tiendrions compte, avant de nousplacer au-dessus de nos pères et des peuples encorebarbares, nous tiendrions compte, disons-nous, desmatériaux, des instruments, des forces que nous avonsreçus gratuitement, qui ne sont pas notre œuvre, et quiont manqué à nos pères, comme ils manquent aux peuplespour lesquels nous avons de si superbes dédains.
Ces matériaux, ces instruments, ces forces, nousparaissent les choses les plus simples du monde; lesayant trouvées toutes faites nous ne nous sommes jamaisdemandé si leur découverte n'a pas dû exiger des effortsde génie dignes d'être admirés; ayant ainsi toujoursjoui des travaux exécutés par nos devanciers dans lecours des siècles, sans chercher à en apprécier la valeur,nous semblons croire que tout ce que nous voyonsa toujours été tel que nous l'avons trouvé en naissant.
Combien nous serions plus justes envers le passé, si,faisant un instant, par la pensée, table rase de tout cequi nous entoure, et nous efforçant d'oublier les mille(Page7)notions et connaissances que nous avons puisées ausein de notre civilisation, nous nous supposions ramenésau point de départ des premières sociétés! Combiennous parlerions avec plus de modestie des conquêtesque notre intelligence ajoute chaque jour à celles queles siècles nous ont léguées, si nous nous rendions biencompte de la nature de ces conquêtes, et si surtout nousvoulions bien nous dire que nous ne les faisons qu'avecle secours d'armes qui ne sont pas notre ouvrage!
Ayant trouvé existants et portés au plus haut degréde perfection tous les arts nécessaires, l'art de nousnourrir, l'art de nous vêtir, l'art de nous loger, l'artde nous défendre, etc., et n'ayant plus d'autre soucique celui de multiplier nos jouissances, est-il donc bienétonnant que nous ayons eu, nous aussi, quelques heureusesinspirations, et que nos luttes, soit contre lamatière, soit contre l'inconnu, n'aient pas été moinsfécondes que celles des siècles pour lesquels le travailde l'esprit était, comme pour le nôtre, un besoin?
Une seule chose serait étonnante: c'est que, rien nenous manquant, ni la m