740—PARIS, IMPRIMERIE LALOUX Fils et GUILLOT 7, rue des Canettes, 7
HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE
PAR H. TAINE
TOME QUATRIÈME
QUATRIÈME ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE
PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 1878 Tous droits réservés
(p. 1) HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.
LIVRE III. L'ÂGE CLASSIQUE. (SUITE.)
CHAPITRE V. Swift.
I. Les débuts de Swift. — Son caractère. — Son orgueil. — Sa sensibilité. — Sa vie chez sir W. Temple. — Chez lord Berkeley. — Son rôle politique. — Son importance. — Son insuccès. — Sa vie privée. — Ses amours. — Son désespoir et sa folie.
II. Son esprit. — Sa puissance et ses limites. — L'esprit prosaïque et positiviste. — Comment il est situé entre la vulgarité et le génie. — Pourquoi il est destructif.
III. Le pamphlétaire. — Comment en ce moment la littérature entre dans la politique. — Différence des partis en France et en Angleterre. — Différence des pamphlets en France et en Angleterre. — Conditions du pamphlet littéraire. — Conditions du pamphlet efficace. — Ces pamphlets sont spéciaux et pratiques. — L'Examiner. — Les Lettres du Drapier. — Le Portrait de lord (p. 2) Wharton. — Argument contre l'abolition du christianisme. — L'invective politique. — La diffamation personnelle. — Le bon sens incisif. — L'ironie grave.
IV. Le poëte. — Comparaison de Swift et de Voltaire. — Sérieux et dureté de ses badinages. — Bickerstaff. — Rudesse de sa galanterie. — Cadénus et Vanessa. — Sa poésie prosaïque et réaliste. — La grande question débattue. — Énergie et tristesse de ses petits poëmes. — Vers sur sa propre mort. — À quels excès il aboutit.
V. Le conteur et le philosophe. — Le Conte du Tonneau. — Son jugement sur la religion, la science, la philosophie et la raison. — Comment il diffame l'intelligence humaine. — Les Voyages de Gulliver. — Son jugement sur la société, le gouvernement, les conditions et les professions. — Comment il diffame la nature humaine. — Derniers pamphlets. — Construction de son caractère et de son génie.
En 1685, dans la grande salle de l'université de Dublin, lesprofesseurs occupés à conférer les grades de bachelier eurent unsingulier spectacle: un pauvre écolier, bizarre, gauche, aux yeuxbleus et durs, orphelin, sans amis, misérablement entretenu par lacharité d'un oncle, déjà refusé pour son ignorance en logique, seprésentait une seconde fois sans avoir daigné lire la logique. En vainson tutor lui apportait les in-folio les plus respectables:Smeglesius, Keckermannus, Burgersdicius. Il en feuilletait troispages, et les refermait au plus vite. Quand vint l'argumentation, leproctor fut obligé de lui mettre ses arguments en forme. On luidemandait comment il pourrait bien raisonner sans les règles; ilrépondit qu'il raisonnait fort bien sans les règles. Cet excès desottise fit scandale; on le reçut pourtant, mais à grand'peine,speciali gratia, dit le regi