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GEORGE SAND

LA DERNIÈRE ALDINI

SIMON

1855

NOTICE

Les romans sont toujours plus ou moins des fantaisies, et il en estde ces fantaisies de l'imagination comme des nuages qui passent. D'oùviennent les nuages, et où vont-ils?

J'ai rêvé, en me promenant à travers la forêt de Fontainebleau, tête àtête avec mon fils, à toute autre chose qu'à ce livre, que j'écrivais lesoir dans une auberge, et que j'oubliais le matin, pour ne m'occuper quedes fleurs et des papillons. Je pourrais raconter toutes nos courseset tous nos amusements avec exactitude, et il m'est impossible de direpourquoi mon esprit s'en allait le soir à Venise. Je pourrais bienchercher une bonne raison; mais il sera plus sincère d'avouer que je nem'en souviens pas: il y a de cela quinze ou seize ans.

  GEORGE SAND.
  Nohant, 23 août 1853.

ALLA SIGNORACARLOTTA MARLIANI,CONSULESSA DI SPAGNA.

Les mariniers de l'Adriatique ne mettent point en mer une barque neuvesans la décorer de l'image de la Madone. Que votre nom, écrit sur cettepage, soit, ô ma belle et bonne amie, comme l'effigie de la célestepatronne, qui protège un frêle esquif livré aux flots capricieux.

GEORGE SAND.

LA DERNIÈRE ALDINI.

PREMIÈRE PARTIE.

A cette époque-là, le signor Lélio n'était plus dans tout l'éclat de sajeunesse; soit qu'à force de remplir leur office généreux, ses poumonseussent pris un développement auquel avaient obéi les muscles de lapoitrine, soit le grand soin que les chanteurs apportent à l'hygièneconservatrice de l'harmonieux instrument, son corps, qu'il appelaitjoyeusement l'étui de sa voix, avait acquis un assez raisonnable degréd'embonpoint. Cependant sa jambe avait conservé toute son élégance, etl'habitude gracieuse de tous ses gestes en faisait encore ce que sousl'Empire les femmes appelaient un beau cavalier.

Mais si Lélio pouvait encore remplir, sur les planches de la Feniceet de la Scala, l'emploi de primo uomo sans choquer ni le goût ni lavraisemblance; si sa voix tout jours admirable et son grand talent lemaintenaient au premier rang des artistes italiens; si ses abondantscheveux d'un beau gris de perle, et son grand oeil noir plein de feu,attiraient encore le regard des femmes, aussi bien dans les salons quesur la scène, Lélio n'en était pas moins un homme sage, plein de réserveet de gravité dans l'occasion. Ce qui nous semblait étrange, c'estqu'avec les agréments que le ciel lui avait départis, avec les succèsbrillants de son honorable carrière, il n'était point et n'avait jamaisété un homme à bonnes fortunes. Il avait, disait-on, inspiré de grandespassions; mais, soit qu'il ne les eut point partagées, soit qu'il en eûtenseveli le roman dans l'oubli d'une conscience généreuse, personne nepouvait raconter l'issue délicate de ces épisodes mystérieux. De fait,il n'avait compromis aucune femme. Les plus opulentes et les plusillustres maisons de l'Italie et de l'Allemagne l'

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