George Sand

JACQUES




NOTICE

Que Jacques soit l'expression et le résultat de penséestristes et de sentiments amers, il n'est pas besoin de ledire. C'est un livre douloureux et un dénoûment désespéré.Les gens heureux, qui sont parfois fort intolérants,m'en ont blâmé. A-t-on le droit d'être désespéré? disaient-ils.A-t-on le droit d'être malade?

Jacques n'est cependant pas l'apologie du suicide; c'estl'histoire d'une passion, de la dernière et intolérable passion,d'une âme passionnée; je ne prétends pas niercette conséquence du roman, que certains coeurs dévouésse voient réduits à céder la place aux autres etque la société ne leur laisse guère d'autre choix, puisqu'elleraille et s'indigne devant la résignation ou la miséricorded'un époux trahi. En ceci, la société ne semontre pas fort chrétienne. Aussi Jacques finit-il peuchrétiennement sa vie en s'arrogeant le droit d'en disposer.Mais à qui la faute? Jacques ne proteste pas tantqu'on croit contre cette société irréligieuse. Il lui cède,au contraire, beaucoup trop, puisqu'il tue et se tue. Ilest donc l'homme de son temps, et apparemment que sontemps n'est pas bon pour les gens mariés, puisque certainsd'entre eux sont placés sans transaction possibleentre l'état de meurtriers et celui de saints.

Tâchons d'être saints, et si nous en venons à bout,nous saurons d'autant plus combien cela est difficile, etquelle indulgence on doit à ceux qui ne le sont pas encore.Alors nous reconnaîtrons peut-être qu'il y a quelque choseà modifier ou dans la loi, ou dans l'opinion, car le but dela société devrait être de rendre la perfection accessibleà tous, et l'homme est bien faible quand il lutte seulcontre le torrent des moeurs et des idées.

J'ai écrit ce livre à Venise en 1834, ainsi que LeoneLeoni et André.

GEORGE SAND.
Paris, mars 1853.




PREMIÈRE PARTIE.




I.

Tilly, près Tours; le...

Tu veux, mon amie, que je te dise la vérité; tu mereproches d'être trop mademoiselle avec toi, commenous disions au couvent. Il faut absolument, dis-tu, queje t'ouvre mon coeur et que je te dise si j'aime M. Jacques.Eh bien, oui, ma chère, je l'aime, et beaucoup. Pourquoin'en conviendrais-je pas à présent? Notre contratde mariage sera signé demain, et avant un mois nousserons unis. Rassure-toi donc, et ne t'effraie plus de voirles choses aller si vite. Je crois, je suis persuadée que lebonheur m'attend dans cette union. Tu es folle avec tescraintes. Non, ma mère ne me sacrifie point à l'ambitiond'une riche alliance. Il est vrai qu'elle est un peutrop sensible à cet avantage, et qu'au contraire la disproportionde nos fortunes me rendrait humiliante et péniblel'idée de tout devoir à mon mari, si Jacques n'étaitpas l'homme le plus noble de la terre. Mais tel que je leconnais, j'ai sujet de me réjouir de sa richesse. Sans cela,ma mère ne lui aurait jamais pardonné d'être roturier.Tu dis que tu n'aimes pas ma mère et qu'elle t'a toujoursfait l'effet d'une méchante femme; tu fais mal, je pense,de me parler ainsi de celle à qui je dois respect et vénération.Je suis bien coupable, à ce que je vois; car c'estmoi qui t'ai portée à ce jugement par la faiblesse quej'ai eue souvent de te raconter les petits chagrins et lesfrivoles mortifications de notre intimité. Ne m'exposeplus à ce remords, chère amie, en me disant du mal dema mère.

Ce qu'il y a de plaisant dans ta lettre, ce n'est pas celacertainement; mais c'est l'espèce de pénétration soupçonneuseavec laquelle tu devines à moitié les chos

...

BU KİTABI OKUMAK İÇİN ÜYE OLUN VEYA GİRİŞ YAPIN!


Sitemize Üyelik ÜCRETSİZDİR!