Ouvrez les livres de géographie les plus complets,étudiez les cartes, même celle de l'état-major, etvous y chercherez en vain un petit affluent de laSeine, qui cependant a été pour la ville qu'il traversece que le Furens a été pour Saint-Etienne etl'eau de Robec pour Rouen.—Cette rivière est lePuchot. Il est vrai que de sa source à son embouchureelle n'a que quelques centaines de mètres,mais si peu long que soit son cours, si peu considérableque soit le débit de ses eaux, ils n'en ont pasmoins fait la fortune industrielle d'Elbeuf.
Pendant des centaines d'années, c'est sur ses rivesque se sont entassées les diverses industries de lafabrication du drap qui exigent l'emploi de l'eau, lelavage des laines en suint, celui des laines teintes,le dégraissage en pièces, et il a fallu l'invention dela vapeur et des puits artésiens pour que les nouvellesmanufactures l'abandonnent; encore n'est-ilpas rare d'entendre dire par les Puchotiers que lapetite rivière n'a pas été remplacée, et que si Elbeufn'est plus ce qu'il a été si longtemps, c'est parcequ'on a renoncé à se servir des eaux froides et limpidesdu Puchot, douées de toutes sortes de vertusspéciales qui lui appartenaient en propre. Mauvaises,les eaux des puits artésiens et de la Seine, aussimauvaises que le sont les drogues chimiques quiont remplacé dans la teinture le noir qu'on obtenaitavec le brou des noix d'Orival.
Le Puchot a donc été le berceau d'Elbeuf; c'estaux abords de ses rives basses et tortueuses, aupied du mont Duve d'où il sort, à quelques pas duchâteau des ducs, rue Saint-Etienne, rue Saint-Auctqui descend de la forêt de la Londe, rue Meleuse,rue Royale, que peu à peu se sont groupés les fabricantsde drap; et c'est encore dans ce quartier auxmaisons sombres, aux cours profondes, aux ruellesétroites où les ruisseaux charrient des eaux rouges,bleues, jaunes quelquefois épaisses comme unebouillie laiteuse quand elles sont chargées de terreà foulon, que se trouvent les vieilles fabriques quiont vécu jusqu'à nos jours.
Une d'elles que le Bottin désigne ainsi: «Adeline(Constant), O. *, médailles A. 1827 et 1834, O.1839, 1844, 1849, 1re classe Exposition universelle de1855, hors concours 1867, médaille de progrèsVienne, nouveautés pour pantalons, jaquettes et paletots»,occupe, impasse du Glayeul, une de cescours étroites et noires; et c'est probablement laplus ancienne d'Elbeuf, car elle remonte authentiquementà la révocation de l'Édit de Nantes, quandles grands fabricants qui avaient alors accaparé l'industriedu drap en introduisant les façons de Hollandeet d'Angleterre, forcés comme protestants dequitter la France, laissèrent la place libre à leursouvriers. Un de ces ouvriers se nommait Adeline;il était intelligent, laborieux, entreprenant, doué decet esprit d'initiative et de prudence avisée qui estle propre du caractère normand: mais, lié parl'engagement que ses maîtres lui avaient imposé,comme à tous ses camarades, d'ailleurs, de ne jamaiss'établir maître à son tour, il serait resté ouvriertoute sa vie. Libéré par le départ de sespatrons, il avait commencé à fabriquer pour soncompte des draps façon de Hollande et d'Angleterre,et il était devenu ainsi le fondateur de la maisonactuelle; ses fils lui avaient succédé; un autreAdeline était venu après ceux-là; un quatrièmeaprès le troisième, et ainsi jusqu'à Constant Adeline,que le nom estimé de ses pères, au moins autantque le mérite personnel, avaient fait successivementconseiller général, président du tribunal de commerce,chevalier puis officier de la Légion d'honneur,et enfin député.
C'était petitement que le premier Adeline avaitcommencé, en ouvrier qui n'a ri